Rencontre fondatrice, Bidart, avril 2015
Avec :
François Asperti-Boursin, chercheur en immunologie, Albuquerque, USA
Minia Bibiany, artiste plasticienne, Mexico D.F., Mexique
Blandine Bussery, artiste plasticienne, Brest, France
Mathilde Chénin, artiste plasticienne, Aubervilliers, France
Pierre Daugy, artiste et danseur, Bruxelles, Belgique
Feline Dijkgraaf, chercheuse, Amsterdam, Pays-Bas
Uri Hershberg, enseignant-chercheur, Drexel University, Philadephia, USA
Leïla Perié, docteure en immunologie, Paris, France
Anna Principaud, artiste plasticienne, Paris, France
Livio Riboli-Sasco, chercheur en philosophie des sciences, Paris, France
Claire Ribrault, docteure en neuroscience, Paris, France
Violeta Salvatierra García de Quirós, chercheuse en danse, Université Paris 8, France
Lettre d’invitation
« A l’origine de cette invitation, le constat fait par l’Atelier des Jours à Venir (Leïla Périé, Claire Ribrault, Livio Riboli-Sasco, scientifiques) de l’usage extensif et souvent non questionné de métaphores au sein des pratiques de recherches scientifiques. C’est notamment le cas en biologie, dans le domaine de l’immunologie. Un large pan de cette discipline s’est en effet construit autour de mots et de représentations qui contribuent à mieux comprendre le fonctionnement du système immunitaire : « soi » et « non-soi », « défenses », « intégrité », « identité », « reconnaissance », « guerre », « danger »… mais qui trouvent aujourd’hui leurs limites autant dans leur échec à décrire certains phénomènes biologiques que dans les impensés qu’ils véhiculent en terme de rapport à l’autre.
En effet, face à ce champ lexical de la dissociation, de la conflictualité, de l’opposition, un certain nombre de scientifiques et de philosophes des sciences font le constat aujourd’hui que ces termes, employés à des fins de vulgarisation/ explication, ne sont pas neutres, mais influent non seulement sur la manière dont sont abordés les objets d’étude de l’immunologie, mais aussi plus largement sur la manière dont sont pensés/envisagés les corps individuels et les corps collectifs. Ces métaphores ne sont pas de simples images ou comparaisons, mais constituent une posture à part entière, un corpus qui, par le biais de ces images, est opératoire (performatif dans le sens austinien du terme) : il transforme et a une action sur le réel, plus encore qu’il ne l’explique.
L’Atelier des jours à venir formule donc l’envie d’interroger cet outil qu’est la métaphore, ce « transfert » (phora) de sens, en associant des artistes à cette réflexion, et de poser avec elleux la question large de l’usage des métaphores dans les pratiques de recherche en arts et en sciences, en prenant pour point de départ particulier celles utilisées en immunologie.
Au sein des pratiques artistiques contemporaines, force est de constater qu’un certain nombre d’artistes entretiennent un rapport métaphorique à la science, à ses objets et ses représentations, et trouvent, en cet endroit, un important réservoir de matières théoriques, plastiques, fictionnelles ou poétiques. Ces emprunts se cantonnent bien souvent à des rapports de prélèvement littéraux et d’illustration, à de simples transpositions/déplacements des représentations scientifiques au sein du champ artistique.
Cette rencontre posera donc non seulement la question de savoir quel regard peut-on porter en tant qu’artiste sur ces mots et ces représentations utilisés dans le domaine de l’immunologie mais aussi et surtout où ces derniers nous déplacent, quels espaces ils créent, quels bords ils dessinent, quels cadres ils figent, quelles mises en mouvement ils accueillent.
Ainsi, afin de ne pas en rester à de tels rapports d’illustration et de creuser la manière dont la métaphore ouvre un espace productif entre elle et l’objet qu’elle vient suppléer et auquel elle se substitue, il s’agira surtout pour les scientifiques et artistes invitéEs de réfléchir de manière singulière, au sein d’une dynamique collective, à leur propre usage du mode langagier/cognitif que constitue la métaphore au sein de leur pratique, et d’envisager des manières de s’en emparer comme de prismes, des outils de pensée permettant de déplacer ce sur quoi illes sont en train de travailler.
Il ne s’agira pas de dénouer des nœuds, de résoudre une question mais plutôt de tenter des déplacements, de créer d’autres nœuds, d’esquisser d’autres directions, de suspendre nos volontés de résolution pour s’autoriser les glissements, accueillir les occasions, les surprises. Faire place à une certaine fragilité/précarité/vulnérabilité, comme la condition pour que des articulations inattendues puissent advenir.
Entrer dans ce paysage spécifique de mots et de représentations produit par l’immunologie nous amènera également à interroger la notion d’ « immunité » et le rapport complexe existant entre « immunité » et « communauté ». L’occasion de questionner les rapports de pouvoirs présents derrière ces métaphores, de décrire les espaces de la différence et du commun qu’elles produisent pour tenter de les comprendre, les expérimenter, peut-être les modifier, pourquoi pas les réinventer.
Prenant l’immunologie comme point de départ, artistes ou scientifiques, chercheurs-chercheuses, nous verrons ainsi comment ces échanges déplacent nos pratiques, dans quel état nous mettent ces mots, comment nous les ingérons et les transformons. Nous tenterons un rassemblement divergent, une coalition temporaire. Nous entrerons pour des raisons peut-être différentes dans ce monde de l’immunologie. Nous travaillerons ensemble ses mots, ses représentations. Peut-être dans l’action, se dessineront d’autres mots, d’autres représentations, d’autres rassemble- ments, des connexions et des ouvertures inattendues, d’autres mondes ? »
AJA, Mathilde Chénin, Anna Principaud