Un mundo zurdo
janvier-juin 2014
installation - production Orange rouge
Dans le cadre des projets de l’association Orange-rouge, j’ai rencontré une classe de collégiens de Noisy-le-sec, une classe ULIS qui regroupe au sein du collège des adolescents ayant des difficultés d’apprentissage. L’idée était d’imaginer un projet artistique, de réaliser ensemble une oeuvre. Nous nous sommes retrouvés régulièrement au collège. Nous avons échangé autour de différentes activités, différents gestes; autant de prétextes pour s’autoriser à commencer, pour prendre la parole, pour partager avec les autres, apprendre aux autres et des autres.
A partir de ces premiers temps partagés, j’ai ensuite imaginé aller avec eux, progressivement, vers la construction d’un territoire commun. Un territoire temporaire, déployable et repliable. Je leur ai proposé d’imaginer un sol. Une surface qui serait à la fois une surface où déambuler, une surface d’inscription et une surface-matrice. Un lieu où se tenir et à partir duquel partir.
Nous sommes donc partis de 20 carrés de linoléum dont on a travaillé ensemble l’agencement, la mise en réseau. Chacun a dessiné des traversées. Puis un ou plusieurs dessins qui nous « racontent le futur ». Chacun a investi cette question à sa manière, dessinant un futur possible ou des mondes imaginaires. Ce sol s’est constitué dans un aller-retour entre le singulier et le commun. C’est une sorte de «chez soi» qui ne serait pas un abri mais plutôt un espace instable, précaire, temporaire; un seuil ; une zone de rencontre.
Ces cheminements et inscriptions ont ensuite été gravés pour pouvoir être, par fragments, rejoués: choisis, encrés, tirés sur papier. Le sol est devenu un atelier, un outil. Chacun s’est constitué un ensemble de tirages, comme des cartes à jouer pouvant être combinées entre elles pour recréer d’autres lignes, d’autres chemins.
Ce projet m’a beaucoup apporté. La rencontre avec chacun a été importante et m’accompagnera longtemps je pense. J’aime les espaces « entre », leur ambigüité, leur potentiel de rencontre, de mélange, d’invention. Ce sont pour moi des lieux de pensée politique. Le titre reprend un thème développé par Gloria Anzalduà, une poétesse, universitaire et militante féministe chicana : « un mundo zurdo », que l’on pourrait traduire par un “monde gaucher, gauche, bizarre”. G.Anzalduà décrit ce monde-là comme un “entre-deux”, une frontière à entendre comme ressource, lieu stratégique à partir duquel penser. C’est un seuil, un lieu de mélanges, d’échanges, d’invention. Dans « un mundo zurdo », nous sommes à la fois interconnectés les uns aux autres et conscients de notre singularité. Matérialisé dans un corps, un langage, un espace, il est toujours en transformation, en renégociation. Pour moi ce sol est une occurrence de ce « mundo zurdo ».
Il restera la trace d’une rencontre singulière mais contiendra dans sa forme la possibilité d’être à nouveau déployé, exploré, rejoué.
Ce projet sera exposé à Main d’oeuvre à Saint Ouen en avril 2015.